Page d'histoire : La découverte de la Pierre de Rosette 19 juillet 1799

Papyrus, hiéroglyphes, inscriptions et médailles. Pierre trouvée à Rosette, (partie supérieure, en écriture hiéroglyphique)

Dans la geste de l'Expédition d'Égypte (mai 1798 à octobre 1801), parmi de nombreux acquis d'ordre scientifique consignés en particulier dans la célèbre Description de l'Égypte se distingue la découverte de la Pierre de Rosette — document fameux qui ouvrit la voie au déchiffrement des hiéroglyphes.

En juillet 1799, se poursuivaient des travaux de terrassement dans une ancienne forteresse turque édifiée à l'embouchure de la branche occidentale du Nil, non loin de la bourgade de Rachid (que nous francisons en Rosette) : une flotte anglo-turque venait de débarquer sur la plage voisine d'Aboukir une armée qu'une charge de Murat devait bientôt mettre en déroute. Les travaux étaient dirigés par un jeune officier du génie, qui avait juste passé, en Égypte même, son examen de sortie de l'École polytechnique : Pierre-François-Xavier Bouchard. Soudain son attention fut attirée par un bloc de pierre noire, haut de près d'un mètre, écorné à sa partie supérieure et sur le côté : il portait des inscriptions en trois sortes de caractères : en haut des hiéroglyphes finement ciselés, au centre 32 lignes d'une graphie cursive, en bas 54 lignes d'un texte en grec.

L'ingénieur des Ponts et Chaussées M. A. Lancret, en mission dans le Delta, adressa à ses collègues de l'Institut d'Égypte un rapport qui fut communiqué à la 31e session du 29 juillet. Le 29 fructidor an VII (15 septembre 1799), on peut lire dans le n° 37 du Courier (sic) d'Égypte : "Cette pierre offre une grand intérêt pour l'étude des caractères hiéroglyphiques ; peut-être en donnera-t-elle la clef."

Aussitôt l'orientaliste Joseph Marcel, directeur de l'Imprimerie, en appliquant sa méthode de l'autographie put obtenir une reproduction du texte que le général Dugua, rentrant en France en mars 1800, communiqua à l'Institut de France ; à la fin d'octobre, Bonaparte lui-même range parmi les gains majeurs de l'Expédition les fouilles d'Alexandrie, l'étude du percement de l'Isthme de Suez et la découverte de la Pierre de Rosette. De leur côté, d'autres méthodes de reproduction avaient été mises au point par Nicolas Conté, qui traita l'inscription comme une sorte de cuivre gravé, et par Adrien Raffeneau-Delille, qui réalisa un moulage à base de soufre.

Si l'Expédition recueillit d'autres documents comparables, à la fois en égyptien et en grec (à Menouf, puis au Caire même, formant le seuil de la mosquée de l'émir Khour), ce fut la Pierre de Rosette, le mieux conservé, qui connut la célébrité. Lors de la capitulation de 1801, alors que les savants français rencontraient tant de difficultés pour conserver leurs notes et papiers personnels, les Anglais, vainqueurs, exigèrent la livraison des monuments antiques : avec deux obélisques, des sarcophages, le poing colossal de Ramsès II, la Pierre de Rosette fut considérée comme prise de guerre ; aussi est-elle aujourd'hui un des joyaux du British Museum, à Londres, où jamais ne se rendit Champollion.

Le texte grec fut vite traduit : c'était le décret d'un synode de prêtres égyptiens, réuni en 192 av. J.-C., instituant un culte en l'honneur de Ptolémée Épiphane ; il indiquait que le texte serait aussi affiché en langue indigène — il s'agissait bien d'un bilingue. Aussitôt la sagacité des savants s'attaqua à la partie médiane, en démotique ; 1802 vit paraître deux études, l'une du célèbre Silvestre de Sacy, l'autre d'un diplomate suédois, J.-D. Akerblad ; à quelques intuitions justes se mêlaient des erreurs sans qu'on pût discerner le vrai du faux ; à partir de 1814, l'illustre physicien anglais Thomas Young s'attaqua avec ardeur — et parfois succès — aux deux versions démotique et hiéroglyphique. Il était réservé cependant à Jean-François Champollion de résoudre l'énigme des hiéroglyphes : enfant prodige maîtrisant toutes les langues anciennes et orientales, adolescent enthousiaste qui réalisa vite que le copte lui montrerait les chemins vers l'Égypte pharaonique, travailleur acharné jusqu'à l'obsession, joignant à l'étude de la Pierre de Rosette celle de tous les documents à sa disposition, en particulier des inscriptions nouvellement découvertes en Nubie, il identifia les noms de Thoutmosis, Ramsès et analysa les cartouches des Pharaons macédoniens et romains.

À la fin de septembre 1822, par sa Lettre à M. Dacier, secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, il offrit la lecture des hiéroglyphes phonétiques ; en 1824, dans son Précis du système hiéroglyphique, il donnera la définition la meilleure "d'un système complexe, d'une écriture tout à la fois figurative, symbolique et phonétique dans un même texte, une même phrase, je dirai jusque dans le même mot". Désormais plus de trois millénaires s'ajoutaient à l'histoire de l'humanité, ceux d'un passé parmi les plus glorieux, aux admirables monuments d'éternité.

Jean Leclant
secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et Belles-lettres

Source: Commemorations Collection 1999

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