Page d'histoire : Marcel Griaule Aisy-sur-Armançon, 16 mai 1898 - Paris, 23 février 1956

Il n’y a pratiquement plus de grand problème de l’ethnologie que nous puissions traiter sans nous référer à l’œuvre de Griaule » déclarait Claude Lévi-Strauss dans son Hommage. Figure majeure de l’ethnologie française, Marcel Griaule fut un pionnier de l’ethnographie et des enquêtes de terrain à l’époque où, pour étudier les populations lointaines, les chercheurs ne quittaient guère leur cabinet.

Dès 1928, il parcourut l’Abyssinie, l’ancienne Éthiopie, à pied ou à dos de mulet, puis il dirigea la fameuse mission Dakar-Djibouti de 1931 à 1933, expédition d’une audace folle, première grande aventure ethnologique française en Afrique. Plus encore, Griaule et son équipe multiplièrent les enquêtes en pays dogon jusqu’au jour miraculeux où, devant son assiduité à comprendre le religieux, l’ethnologue fut jugé digne d’être initié. Le vieux sage Ogotemmêli, avec l’accord du conseil des anciens, lui révéla des pans entiers de sagesse, la vision symbolique de l’univers, les clés de la cosmogonie dogon. Griaule s’empressa de publier un livre grand public, Dieu d’eau, régulièrement réédité depuis sa parution en 1948, pour montrer au plus grand nombre, sans l’appareil scientifique habituel, la complexité et la cohérence parfaite de la pensée dogon.

Sa vie durant, Griaule aura été habité par un idéal d’humanisme et de vérité. Son œuvre, son enseignement, son action, tout son être furent entièrement dévoués à une même cause, la défense de l’Afrique, l’apologie des cultures et des mythologies africaines, le combat contre le racisme et les préjugés des Blancs, contre le colonialisme et l’impérialisme. Avec une intuition sans faille, il s’enthousiasmait déjà pour le développement durable, la politique de petits travaux et, à ce titre, avait obtenu la construction d’un barrage à échelle humaine en pays Dogon.

Homme d’action et militaire, commandant aviateur, croix de guerre 39-45, son engagement antifasciste n’a jamais faibli, contre l’agression italienne en Éthiopie d’abord, pendant l’Occupation ensuite. Son livre La peau de l’ours a figuré sur la « liste Otto » des livres interdits par les autorités allemandes, tandis qu’il s’est attiré les foudres de la presse collabo. Tout entier dévoué à l’Autre, militant indigné, voyageur-ethnographe, irrésistible tribun à l’assemblée de l’Union française, écrivain, professeur à la Sorbonne, Griaule ne s’est pas installé dans le confort de la gloire et des certitudes, il ne s’est pas laissé ébranler non plus par quelques jalousies et aigreurs malveillantes, il a inlassablement poursuivi son œuvre jusqu’à la mort, hélas prématurée.

Les Dogon ne s’y sont pas trompés car, fait sans précédent, Griaule a rejoint les Ancêtres en recevant des funérailles selon leurs propres coutumes. Résolument moderne et visionnaire, cette grande figure humaniste n’aura jamais été autant d’actualité.

Isabelle Fiemeyer
journaliste, écrivain

Source: Commemorations Collection 2006

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