Page d'histoire : Jules Ladoumègue Bordeaux, 10 décembre 1906 - Boulogne, 3 mars 1973

Recordman du monde et héros populaire, Jules Ladoumègue est aussi le symbole de la lutte entre amateurs et professionnels qui déchire les milieux sportifs de l’entre-deux-guerres.

Né dans un milieu très modeste de la banlieue bordelaise, Jules Ladoumègue ne connaît ni son père, mort accidentellement quatre mois avant sa naissance, ni sa mère, décédée tout aussi tragiquement alors qu’il n’est âgé que de 17 jours. Dans l’immédiat après-guerre, il découvre le sport dans un patronage et remporte ses premières courses en athlétisme. Après plusieurs saisons à Bordeaux entre 1921 et 1925, il rejoint à Paris le meilleur club du moment, le Stade Français, avant de passer au Club athlétique des sports généraux. Il multiplie alors les victoires, devient international en 1926, bat son premier record de France sur 1 500 mètres en 1928 et participe aux jeux Olympiques d’Amsterdam la même année où il empoche une médaille d’argent, faisant oublier le défunt Jean Bouin.

Commence alors une éblouissante série de performances, avec six records du monde battus entre octobre 1930 et octobre 1931. Ces succès sportifs, à un moment où se constitue le culte du champion exemplaire et où les grandes compétitions s’imposent comme un spectacle apprécié, font de Ladoumègue un héros d’autant plus populaire que sa trajectoire est placée sous le sceau de la méritocratie. Sa vie et ses prouesses sont d’ailleurs largement commentées dans la presse. Mais le contexte est aussi celui de la crispation des instances sportives sur les valeurs de l’amateurisme sur fond de naissance du football professionnel. Malgré la défense d’un Jean Giraudoux, malgré aussi son exceptionnelle popularité, Ladoumègue est accusé en 1931 par les dirigeants de la Fédération française d’athlétisme (FFA) d’avoir réclamé de l’argent pour courir. Il est finalement disqualifié le 4 mars 1932 pour professionnalisme dans ce que la presse qualifie alors d’« affaire Ladoumègue ». Ni les demandes officielles du ministre Ernest Lafont, ni le soutien de célébrités, ni la course-exhibition triomphale organisée par Paris-Match en son honneur en novembre 1935 ne lui permettent d’être réhabilité avant 1943. Toutefois, les talents sportifs de Ladoumègue autant que le sentiment d’injustice inspiré par sa disqualification auront créé une mobilisation collective durable et un fort sentiment d’identification faisant du coureur bien davantage qu’un simple champion.

Thierry Terret
professeur à l’université Claude Bernard - Lyon 1
centre de recherche et d’innovation sur le sport

Source: Commemorations Collection 2006

Liens