Page d'histoire : La musique sous l'Empire

Le Songe d’Ossian
Jean-Auguste-Dominique Ingres, plume, encre grise, lavis gris,
aquarelle, mine de plomb - vers 1812
Louvre D.A.G. - © RMN / C. Jean

Jusqu’à une date récente on a pensé que les premières années du XIXe siècle avaient peu d’intérêt sur le plan musical, comme si, de Gluck à Berlioz, la création était restée quelque peu en sommeil. Depuis quelques années, les perspectives ont heureusement changé : on sait aujourd’hui que, même s’il manque incontestablement à la musique française du Consulat et de l’Empire une forte personnalité qui s’impose comme chef de file un peu ce que fut Chateaubriand en littérature, elle n’en fut pas moins d’une richesse exceptionnelle et décisive : c’est alors en effet que s’accomplit discrètement et sans heurt la grande mutation qui conduira quelques années plus tard à l’éclosion du romantisme.

Les différentes institutions musicales connaissent sous l’Empire une période prospère. Le tout nouveau Conservatoire, qui jouit de l’appui de l’Empereur, forme des instrumentistes de très haut niveau. Les concerts réguliers qu’il organise sous le titre modeste d’Exercices publics d’élèves, sont le rendez-vous de l’élite des amateurs parisiens. À partir de 1807, on y entend pour la première fois en France des symphonies de Beethoven, dont la grande Symphonie héroïque (1813 et 1814).

Trois théâtres lyriques se partagent, sous l’Empire, la faveur des Parisiens : l’Académie impériale de musique (Opéra), l’Opéra-Comique et le Théâtre-Italien. Ce dernier, qui a ouvert ses portes en 1801 et qui restera à Paris jusqu’en 1874, est le théâtre lyrique favori de l’Empereur, grand amateur de l’opéra italien. C’est à cette troupe italienne que revient l’honneur d’avoir fait entendre pour la première fois à Paris les trois grands chefs-d’œuvre de Mozart dans leur version originale : Le Nozze di Figaro (1807), Così fan tutte (1809), Don Giovanni (1811).

En 1802 enfin, Bonaparte, imitant en cela les souverains de l’Ancien régime, ouvre une chapelle consulaire aux Tuileries ; à l’heure de la restauration du culte, cette chapelle va vite devenir le centre d’un renouveau de la musique religieuse en France. Messes, motets, oratorios latins s’y succèdent, obtenant un succès qu’on qualifierait presque de mondain ; la musique religieuse se veut aimable, décorative, la foi se poétise sous l’influence, entre autres, du tout nouveau Génie du Christianisme.

Les compositeurs ne se regroupent pas en école : chacun tente sa voie de son côté, sans manifeste bruyant, sans déclaration intempestive. Méhul, Cherubini, Le Sueur, qui sont les figures de proue du temps, sont les précurseurs évidents du romantisme. Entre leurs mains, l’orchestre classique, celui de Haydn et de Mozart, se transforme insensiblement. Les symphonies de Méhul, les ouvertures de Cherubini, les pages lyriques de Le Sueur prennent par instant une couleur beethovénienne qui annonce déjà le grand orchestre symphonique du XIXe siècle.

Au moment de la fondation de l’Empire, le compositeur Le Sueur fait représenter sur la scène de la toute nouvelle Académie impériale de musique son opéra Ossian ou Les Bardes : c’est un triomphe, le grand succès de l’opéra jusqu’en 1815. Exploitant le thème ossianique alors à la mode, Le Sueur fait passer un frisson nouveau sur la scène lyrique. La scène célèbre du Songe d’Ossian ouvre toutes grandes les portes du fantastique et du rêve. Quantité d’autres œuvres importantes vont suivre, chacune d’elles apportant une tonalité nouvelle sur la scène de l’Opéra. Du même Le Sueur on peut encore citer La Mort d’Adam (1809), sujet biblique qui introduisait le personnage de Satan dans l’opéra français et, en 1813, de Cherubini, Les Abencérages, poétique évocation de l’Espagne mauresque et andalouse. Un monde nouveau, celui de la sensibilité, était en train de naître.

 

Jean Mongrédien
professeur émérite à la Sorbonne

Source: Commemorations Collection 2004

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