Page d'histoire : Avènement de Louis XI juillet-août 1461

Louis XI préside le chapitre de l’Ordre de Saint-Michel
Enluminure de Jean Fouquet, 1470
Bibliothèque nationale de France
© BnF
 

Rarement la transmission du pouvoir se sera faite en des circonstances aussi dramatiques. Quand meurt Charles VII, le dauphin Louis est à Genappe, en Brabant, l’hôte du duc de Bourgogne. Pour dire les choses crûment, l’héritier de la couronne de France est un réfugié politique.

Charles VII, ce n’était plus depuis longtemps celui que ses ennemis appelaient « le roi de Bourges » en oubliant qu’il était le roi pour plus de la moitié de la France. C’était Charles le Victorieux, celui qui avait expulsé les Anglais, qui avait donné au royaume une armée permanente et des finances assurées, qui avait entrepris de doter la justice de coutumes plus sûres parce que rédigées. Mais sa cour était un nid de courtisans, de favoris et de spéculateurs. Intrigues et complots se succédaient. Agnès Sorel, morte en 1450, n’en avait pas été le moindre personnage, et elle n’entendait pas partager son influence. Autant dire que le dauphin se sentait de trop.

Louis est né en juillet 1423, quand la couronne chancelait encore. Il a grandi dans ces cours médiocres qu’un roi exilé de sa capitale tenait tant bien que mal en Touraine ou en Berry. On l’a marié avec une princesse écossaise parce qu’on avait besoin des soldats écossais. Très vite, et comme si souvent chez les princes proches du trône, les complots ont trouvé en lui une oreille attentive, voire un chef naturel. Les princes révoltés en 1440 dans ce qu’on appellera la Praguerie trouvent sans peine en lui une tête, sinon un chef.

Le traité de 1349, par lequel le dauphin Humbert cédait à la France le dauphiné de Viennois, stipulait que cette principauté irait, à chaque génération, au fils aîné du roi de France. Donc dauphin, le prince Louis demande à aller y tenir sa place. À vrai dire, il y voit la base d’une relative indépendance. Terre d’Empire, le Dauphiné n’est pas dans le royaume de France. À la cour de Charles VII, nombreux sont ceux qui sont heureux de le voir s’éloigner. S’il gagnait en influence, certains pourraient trembler.

À peine est-il en 1447 dans son Dauphiné qu’il secoue le joug. Veuf depuis 1445, il se remarie, mais sans même prendre l’avis de son père, et ce mariage avec une princesse de Savoie est l’occasion d’amorcer un réseau de relations diplomatiques dont la moindre n’est pas celle qu’il noue bientôt avec Milan. Bref, il se comporte en souverain. Il crée à Grenoble un parlement, à Valence une université. Et il refuse d’aller faire sa cour au roi de France. À vrai dire, il craint pour sa sécurité.

Charles VII ne peut qu’aller mettre son fils au pas. En 1456, il entre en Dauphiné avec une armée. Louis s’enfuit. Il gagne le seul refuge qui s’offre commodément à lui, la cour du duc de Bourgogne.

Le duc Philippe le Bon tient à Dijon ou à Lille comme à Malines ou à Bruxelles une cour fastueuse. Réconcilié depuis 1435, et par raison d’État, avec son cousin Charles VII, Philippe s’occupe, plus que des affaires françaises, de la constitution de cet état qu’il voudra porter des pentes du Jura aux rivages de la mer du Nord. Accueillir le dauphin rebelle rappelle à tous que le « Grand Duc d’Occident » n’est pas le vassal du roi de France. La protection qu’il offre à un hôte encombrant est un des pions qu’il pousse sur l’échiquier européen, et c’est, croit-il, un gage d’avenir. Il ne peut deviner que son fils, Charles le Téméraire, s’effondrera vingt ans plus tard sous les coups que lui fera porter le dauphin devenu Louis XI.

Le 22 juillet 1461, Charles VII s’éteint. À Genappe, où le duc -Philippe l’héberge en un petit château, celui qui est soudain le roi Louis n’a pas un geste de deuil. Il lui faut très vite aller ceindre sa couronne. Il le sait, les allées du pouvoir sont occupées par les serviteurs de son père, donc par ceux dont il lui faut se débarrasser sans attendre les mauvais coups. Le 15 août, à Reims, il reçoit l’onction royale. Le 31, il fait à Paris son entrée solennelle, accompagné par un Philippe le Bon qui croit encore à son influence sur le nouveau roi.

Louis XI a trente-huit ans. Depuis Louis VIII, aucun roi n’a tant attendu pour ceindre la couronne. Il a observé, il a gouverné, il a eu le temps de se préparer à ce qui sera son « métier de roi ». À Saint-Denis, avant même d’entrer dans Paris, il commence de prendre le contre-pied de son père : il accorde au légat pontifical l’abrogation de la Pragmatique Sanction de 1438, cette constitution d’une Église gallicane qui réduisait les droits du pape. En quelques jours, il révoque tous ceux qui sont pour lui les acteurs d’un passé dont il a souffert. On exile, on emprisonne. De nouveaux noms surgissent.

Déjà, Louis XI se prend à « pratiquer » les gens, autrement dit à les manipuler pour s’en servir. Il s’avise qu’en renvoyant les fidèles de son père, il a fait table rase de toutes les compétences qui faisaient la force de la Couronne. Il sait le prix de l’expérience. Le réalisme l’emporte, ce réalisme qui sera toujours le premier caractère de tous ses comportements. Négociant une par une les fidélités, flattant et achetant, ne portant personne à un trop haut degré et n’ayant confiance qu’en ceux qui lui doivent tout, divisant la connaissance des affaires pour en être seul maître, Louis XI rappelle donc l’un après l’autre bien des serviteurs de Charles VII qu’il a naguère chassés. L’un des derniers à revenir dans le secret du cabinet royal sera cet Antoine de Chabannes, comte de Dammartin, il y a peu ennemi déclaré et embastillé, qui, avec le titre modeste de « grand maître », sera le premier, le plus proche et le plus fidèle des confidents du roi et des exécutants de sa volonté.

Et Louis XI aura l’intelligence de ne rien casser de la construction politique de son père. Il y ajoutera. Il n’en retranchera rien.

Jean Favier
membre de l’Institut
président du Haut comité des Célébrations nationales

Source: Commemorations Collection 2011

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