Article : Les sources relatives aux Harkis : introduction générale

SAS de Beni Bechir : départ en patrouille [s.d.]

Ce guide des sources sur les Harkis et autres forces supplétives de l'armée française s’adresse à tous, qu’ils soient historiens ou universitaires, Harkis ou descendants de Harkis, ou bien simple citoyen. Il s’inscrit dans la suite du rapport du préfet Ceaux « Aux Harkis, la France reconnaissante » publié en 2018, qui préconisait à la fois de poursuivre les campagnes de collecte de témoignages oraux (propositions 14 à 16) et de « rédiger des guides des archives relatives aux harkis » tout en identifiant les « diverses sources archivistiques disponibles » (propositions 28 et 29).

Par souci de clarté et du fait de l'abondance des sources, le guide se compose, outre cette introduction, de deux pages distinctes :

Pour chacune d’elles, une introduction en développe les spécificités.

D’une façon générale, le guide offre pour la première fois un panorama d’ensemble sur les archives relatives aux Harkis et autres forces supplétives, quel que soit le lieu en France où elles sont conservées. Il vous dirige vers les principaux fonds susceptibles de répondre à une recherche.

Ce guide est le fruit d'une étroite collaboration interministérielle : piloté par le Service interministériel des Archives de France, il a été co-rédigé avec les Archives nationales, les Archives nationales d'outre-mer et la Préfecture de Police de Paris, ainsi qu'avec le ministère des Armées, qui a été très engagé dans le projet à travers la Direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA), le Service historique de la Défense (SHD), l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) et l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères y a apporté son concours.

Pour une première orientation sur le sujet, vous pouvez consulter les ouvrages suivants :

  • Rivesaltes, le camp de la France de 1939 à nos jours, par Lebourg (Nicolas) et Moumen (Abderahmen), Trabucaire, 2015 ;
  • La guerre d’Algérie des harkis (1954-1962), par Hautreux (François-Xavier), Perrin, 2013 ;
  • Les harkis (1962-2012). Les mythes et les faits, dans Les Temps Modernes, n°666, novembre-décembre 2011 ;
  • Les harkis, par Charbit (Tom), éd. La Découverte, 2006 ;
  • Les harkis, une mémoire enfouie, par Jordi (Jean-Jacques) et Hamoumou (Mohand), éd. Autrement, 1999 ;
  • Et ils sont devenus harkis, par Hamoumou (Mohand), Fayard, 1993.

Voir aussi :

SAS de Praxbourg [1958-1959] ©ANOM

Définition

Le mot générique de Harkis désigne des Algériens, ou « Français musulmans », selon l'expression de l’époque, ayant appartenu à une unité supplétive de l’armée française durant la guerre d’Algérie (1954-1962) ; il est utilisé sous cette acception large après la guerre.

A été retenue ici la définition qu'en donne le rapport Ceaux (p. 7) : sont désignés comme supplétifs « l’ensemble des auxiliaires d’origine algérienne ayant combattu aux côtés de l’armée française pendant la guerre d’Algérie » et « par extension, leurs familles ». Il s’agit de personnes de statut civil employées par l’armée, avec pour certaines une fonction militaire. On estime à près de 200 000 le nombre de supplétifs durant le conflit.

Est écartée une définition plus extensive qui inclurait les musulmans qui furent associés, à un moment ou à un autre, à la présence française en Algérie (élus, fonctionnaires, auxiliaires coloniaux, partenaires économiques, etc.).

Les catégories de supplétifs

En s'appuyant sur le rapport du Préfet Ceaux, l'on peut définir cinq catégories principales de supplétifs.

1) Les harkis, membres d’une harka

Si la création des harkas (en arabe : mouvement) remonte officiellement au 8 février 1956, leurs règles de constitution et d’organisation ne sont que progressivement fixées au cours de l’année 1956, et elles reçoivent pour mission de participer aux opérations de maintien de l’ordre. Elles sont le principal appui de l’armée française en Algérie, puisqu’elles constituent dès 1958 la composante des forces supplétives la plus importante numériquement ; les harkis remplissent alors les fonctions militaires les plus diverses, jusqu’à constituer des commandos de chasse d’élite. Les harkas sont en règle générale composées de harkis, de militaires ou d’appelés métropolitains et placées sous le commandement de jeunes officiers. Au plus fort de la guerre d’Algérie, et en raison de la très forte mobilisation des harkas par le plan Challe (1959-1961), on en compta jusqu’à 800 dans tout le pays.

©Service historique de la Défense

 

2) les groupes mobiles de protection rurale (GMPR) devenus groupes mobiles de sécurité (GMS)

Les Groupes mobiles de police rurale ou GMPR (qui deviennent en 1958 les Groupes mobiles de sécurité ou GMS) sont les premières unités supplétives mises en place dans les Aurès en 1954. Elles sont créées officiellement en janvier 1955 par une instruction du ministre de l’Intérieur et ont pour mission d’assurer la surveillance des campagnes et la protection des biens et des personnes. Elles sont essentiellement composées d’anciens combattants recrutés localement, mais se distinguent par un très fort taux d’encadrement (20% environ), lequel est assuré par des inspecteurs de police, puis par des sous-officiers lors du passage des GMS sous autorité militaire. Les GMPR/GMS ont donc une fonction de police et de maintien de l’ordre, qu’ils exercent dans les milieux ruraux et dans les petits bourgs montagnards. Sont aussi assimilés aux GMPR/GMS les compagnies nomades. En 1962, on comptait 114 GMS.

3) Les moghaznis, membres d'un maghzen

Les moghaznis sont les supplétifs recrutés pour assurer la protection des sections administratives spécialisées (SAS). Dès le début du conflit algérien, des officiers des Affaires indigènes affectés au Maroc sont dépêchés en Algérie, où ils se trouvent sous l’autorité du général Parlange, pour installer les premières SAS. Les SAS (on trouve également quelques sections administratives urbaines, ou SAU) ont une fonction beaucoup plus large que la seule fonction de maintien de l’ordre : elles assurent en effet un ensemble de missions administratives (élections et impôts notamment), socio-éducatives (enseignement, aide médicale) et économiques (habitat, agriculture, infrastructures essentielles) et doivent permettre de protéger les populations et, par la prise en charge matérielle de ces dernières, d’endiguer la progression du Front de libération nationale (FLN). Chaque SAS – on en dénombre 700 dans toute l’Algérie en 1960 – est protégée par un maghzen composé de 25 à 30 moghaznis, qui ont une fonction essentiellement défensive.

Maghzen de la SAS de Praxbourg [1958-1959] ©ANOM

 

4) Les groupes d’autodéfense (GAD)

Les groupes d’autodéfense (GAD), qui apparaissent à la fin de l'année 1956, sont constitués de bénévoles chargés de protéger les villages et les bourgs d’éventuelles attaques du Front de libération nationale (FLN). On en comptait 2 031 en 1962. 

Le groupe d’auto-défense de Taliouine, 1959 ©Colin/ECPAD/Défense

5) Les supplétifs nommés assas, rattachés aux Unités de réserve (UR)

À partir de 1955 sont mises en places, à l’initiative du général Lorillot, des unités territoriales (UT) qui deviennent en 1960 des unités de réserve ;  elles sont composées de réservistes convoqués ponctuellement ou servant à temps plein, parmi lesquels les assas (gardiens), gendarmes supplétifs. On comptait 3 000 de ces derniers.

Autres catégories de supplétifs

Près de 9 000 « Européens d’Algérie » se sont engagés, au cours de la guerre d’Algérie, comme supplétifs de l’armée française ; ces derniers, aussi appelés « harkis blancs », qui bénéficiaient d’un statut juridique de droit commun – et non de droit local comme la majorité des supplétifs –, ont également dû quitter l’Algérie après l’indépendance mais ont bénéficié, à ce titre, des mesures prises en faveur des Français rapatriés d’origine européenne et n’ont pas été, contrairement aux supplétifs d’origine nord-africaine, sujets aux représailles du FLN.

Des femmes ont aussi tenu un rôle significatif dans les forces supplétives : ces dernières faisaient régulièrement office d’assistantes sanitaires et sociales, de messagères ou d’infirmières. Elles se montrent particulièrement endurantes au sein des équipes médicales itinérantes qui sillonnent le djebel à la recherche des blessés. On compte même une harka féminine, créée dans la SAS de Catinat en janvier 1959. Sous l’autorité du lieutenant Onrupt, 34 femmes (les « harkettes ») apprennent à bâtir des abris dans Catinat assiégée et 18 d’entre elles sont sélectionnées pour protéger, parfois les armes à la main, les récoltes alentours. 

Entraînement au tir du groupe d’autodéfense féminin de Catinat, 1960 ©Léonec Kierzkowski/ECPAD/Défense

Enfin, plusieurs centaines – a minima – de Marocains et Tunisiens, résidants en Algérie, ont appartenu à des formations supplétives durant la guerre d’Algérie, essentiellement dans les harkas ou les maghzens. Une partie d’entre eux a été rapatriée en France, et transitent parfois par les mêmes camps que les anciens supplétifs d’origine algérienne. 

À partir des années 1980, d’autres catégories ont été rajoutées et désignées comme des « assimilés » pour pouvoir bénéficier des mesures en faveur des anciens supplétifs : les agents contractuels de police auxiliaire ; les agents temporaires occasionnels de police ; les gardes champêtres en zone rurale ; les agents de renseignements ; les auxiliaires médico-sociaux des armées ; les Français rapatriés originaires d'Afrique du Nord, anciens militaires ayant appartenu aux forces régulières françaises et participé aux opérations de maintien de l'ordre en Algérie, mais ayant quitté l'armée avant quinze ans de service, à l'exclusion de ceux qui ont effectué leur seul service militaire obligatoire dans les unités régulières.

Vous pouvez aussi effectuer des recherches à partir des termes suivants :

 

Départ des réfugiés harkis de Bône, novembre 1962. ©Photographe inconnu/ECPAD/Défense

 

Période chronologique

Toute la période chronologique est prise en compte, sans bornes particulières, depuis l'origine de la création des harkis et des troupes supplétives jusqu'à nos jours. Une chronologie présente des principales dates qui rythment la période.

Cartes

Deux cartes, extraites du livret « Parcours de harkis et de leurs familles » réalisé par l'ONACVG, permettent de situer en France :

  • les camps de transit et principales cités de Harkis (cliquer sur la carte pour l'agrandir)

© ONACVG

  • les principaux hameaux de forestage (cliquer sur la carte pour l'agrandir)

© ONACVG

Les ressources culturelles et pédagogiques

Il a semblé utile d'introduire ici des exemples de ressources culturelles et pédagogiques proposées par les institutions d'archives. À part dans ce panorama, il convient de citer tout d'abord l'exposition « Parcours de Harkis et de leurs familles » réalisée par l'ONACVG en 2018 et son livret d'accompagnement, qui dressent une vue d'ensemble depuis le départ d'Algérie jusqu'à l'installation en France. L'exposition « Expériences combattantes - Parole aux harkis » (2020) du SHD met en avant les témoignages oraux, issus de campagnes de collecte successives de l'ONACVG. 

Les services territoriaux d'archives proposent des ressources telles que ateliers et dossiers pédagogiques, expositions, publications qui permettent d'ancrer le sujet avec des exemples locaux.

À destination des scolaires, les Archives des Alpes-de-Haute-Provence ont réalisé une publication « La guerre d'Algérie vue des Basses-Alpes » avec un chapitre sur les Harkis (« "Ils arrivent demain". Ongles accueille les Harkis ») qui renvoie à l’exposition éponyme de la Maison d’histoire et de mémoire d’Ongles. Aux Archives d’Ille-et-Vilaine, un atelier pédagogique est proposé sur « Les mémoires de la guerre d'Algérie : rapatriés et réfugiés en Ille-et-Vilaine » et aux Archives du Puy-de-Dôme, sur le camp de Bourg-Lastic.

Les Archives de la Dordogne proposent une exposition virtuelle sur « les Harkis dans la colonisation et ses suites » , comme les Archives de Saône-et-Loire, « L'accueil des Harkis en Saône-et-Loire : le hameau de forestage de Roussillon-en-Morvan ».  En 2019, les Archives de l’Hérault ont présenté l’exposition « Les harkis à Lodève, une page d’histoire française » qui mettait en avant les parcours de vie des ouvrières de la manufacture de tapis et de leurs familles et « Tapis d’exception : la Savonnerie de Lodève s’expose à Pierresvives » qui offrait une sélection d’œuvres. S’en est suivie une journée d’études intitulée « Les harkis de l’ombre à la lumière » qui a réuni des spécialistes (historiens, politistes, anthropologues) et des témoins (voir aussi les films documentaires sur “Femmes de Harkis et tisseuses de la République”).

La publication des Archives de Lot-et-Garonne : 1962, fin de la guerre d’Algérie. Le Lot-et-Garonne à l’heure des accords d’Évian (2012, 95 p.) aborde l’exode des populations, notamment des Harkis, et celle de la Seine-et-Marne : Étrangers et immigrés en Seine-et-Marne, XVIIIe-XXIe siècles (2015, 52 p.) évoque l’installation difficile de familles de Harkis qui subissent la double épreuve de l’exil et du rejet de la société française des années 1960. Un livret a été réalisé par les Archives de l’Ardèche sur les Harkis et la cité de Neuilly-Nemours à l’occasion de la Grande Collecte de 2016. 

 

Pour aller plus loin

Plus nombreuses sont les ressources concernant plus largement la guerre d’Algérie et ses conséquences dans les territoires. En figurent ici quelques exemples.

L’ONACVG propose en ligne l’exposition numérique « La guerre d’Algérie, histoire commune, mémoires partagées ? » et une mallette pédagogique « Traiter la guerre d’Algérie et ses mémoires en classe ». Le concours scolaire de BD “Bulles de mémoires” autour de la mémoire des grands conflits du XXe siècle présente comme thème de l’édition 2021-2022 : “La jeunesse face à la guerre” ; la fiche n° 4 porte sur la guerre d’Algérie.

Les Archives nationales d’outre-mer ont publié en 2003 un ouvrage sur L’Algérie et la France : destins et imaginaires croisés (48 p.) : il est la reproduction intégrale de l’exposition éponyme réalisée dans le cadre de l’Année de l’Algérie.

À destination des scolaires existent des ateliers pédagogiques : « La guerre d'Algérie » aux Archives de l’Isère  ; « Expériences de femmes pendant la guerre d’Algérie » aux Archives de la Loire qui a débouché en 2021 par la réalisation d’une bande dessinée et d’une exposition par des élèves ; « Les répercussions de la guerre d'Algérie dans le Val-d'Oise » aux Archives du Val-d’Oise ; « Mémoire : Nancy et la guerre d'Algérie » aux Archives de Nancy.

Les Archives de la Somme proposent dans leur revue du service éducatif TDS, textes et documents sur la Somme un numéro spécial sur 1954-1962, la guerre d’Algérie (n° 74, 2002, 33 p.).

Des expositions itinérantes sont empruntables aux Archives de la Charente : « La Charente et les Charentais pendant la guerre d'Algérie, 1954 » et aux Archives de la Dordogne : « LÀ-BAS : Dordogne-Algérie (1830-1962) ».

En 2016, les Archives des Bouches-du-Rhône ont organisé une journée d’étude sur « Histoire, mémoire et archives orales de la guerre d’Algérie ».

Liens